Rappel de l'objet de la demande
Le fait pour un patient, d’enregistrer de manière audio une consultation médicale sans le consentement du médecin, constitue-t-il une infraction au sens de l’article 226-1 du Code pénal, ou bien cette infraction n’est-elle constituée qu’en cas de diffusion de cet enregistrement ?
Quelle attitude peut adopter un médecin s’il croit être enregistré et que le patient ne veut pas supprimer l’enregistrement ?
Textes de référence
- Code civil, article 9 ;
- Code pénal, articles 226-1 et 226-2 ;
- Code de la santé publique, article R.4127-47.
Réponse
Traditionnellement, l’enregistrement d’un tiers à son insu s’analyse en une violation de la vie privée, laquelle est susceptible d’engager cumulativement les responsabilités civile et pénale de son auteur.
Sur le plan civil, « chacun a droit au respect de sa vie privée », étant rappelé que ce principe a valeur d’une liberté fondamentale protégée par la Constitution française.
Sur le plan pénal, est un délit le fait de « porter volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui, au moyen d’un procédé quelconque », notamment :
- « En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ».
- « Le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement » obtenu de cette façon.
Une présomption de consentement est instaurée lorsque ces actes sont accomplis au vu et au su de la personne, sans qu’elle ne s’y soit opposé alors qu’elle était en mesure de le faire (c’est-à-dire lorsqu’elle avait conscience d’être enregistrée).
La captation et conservation d’un enregistrement audio d’un tiers, même sans diffusion, reste donc susceptible de constituer cette infraction.
Toute la difficulté tient à l’applicabilité de ces dispositions à un professionnel de santé en consultation.
Le fait que les propos enregistrés soient « prononcées à titre privé ou confidentiel » ne pose en principe pas problème, la consultation n’ayant pas vocation à sortir du cadre du colloque singulier entre le médecin et le patient (hors secret médical partagé et échange d’informations entre professionnels), même si l’on pourrait théoriquement objecter que la confidentialité est un droit garanti au bénéfice du seul patient, et non du médecin lui-même.
En revanche, pratiquer l’enregistrement d’un entretien n’est pénalement répréhensible que s’il s’agit d’une « atteinte à l’intimité de la vie privée » de la personne. La jurisprudence est sur ce point fluctuante et tend à exiger que l’enregistrement touche véritablement à la vie privée et personnelle de la personne enregistrée à son insu pour qu’il s’agisse d’une infraction.
En effet, le droit à la vie privée – et la notion d’atteinte qui en découle – s’apprécie différemment selon les parties en cause (entre particuliers, entre professionnels…) le lieu (domicile, lieu public…) ou encore le domaine et contexte dans lequel s’est manifestée l’atteinte (droit social, divorce, droit commercial, secret des affaires, propriété intellectuelle…).
NOTA BENE : le fait que cette notion soit à géométrie variable se retrouve aussi dans l’admissibilité de la preuve. Au civil, le principe de loyauté de la preuve rend irrecevable la
production d’un enregistrement clandestin d’un médecin. Au pénal en revanche, la preuve est libre et se fait par tout moyen , même un enregistrement audio effectué à l’insu de la personne. Cette distinction aura notamment son d’importance dans le cas où le patient ayant effectué l’enregistrement aurait des velléités d’action contentieuse contre le médecin où l’établissement.
En la matière, la jurisprudence n’a pas été amenée à proprement qualifier les échanges tenus entre un médecin et son patient comme relevant ou de la sphère de la vie privée. Elle reconnaît néanmoins qu’un praticien dispose du droit à l’image (qui découle de celui à l’intimité de la vie privée), lors d’un enregistrement audiovisuel à son insu dans son cabinet.
Dans ces conditions, l’enregistrement audio du médecin, sans son consentement, apparaît susceptible de relever du champ des articles 226-1 et 226-2 du Code pénal.
En dehors de ces dispositions, aucun fondement ne permet aux professionnels de santé de s’opposer à une telle pratique, si ce n’est en indiquant au patient que l’enregistrement de la consultation ou des soins pourra, à l’avenir, sans accord préalable, justifier un refus de prise en charge de sa part (refus de soins pour une raison professionnelle ou personnelle).
Le Conseil de l’Ordre des médecins s’était notamment auto-saisi de cette question en affirmant qu’il « n’existe pas de disposition permettant au médecin d’exiger que les téléphones soient éteints lors d’une consultation mais l’enregistrement audio et / ou vidéo de la consultation, effectué à l’insu du médecin traduit une défiance à son égard qui pourrait justifier qu’il refuse de réaliser ou de poursuivre la consultation (hors le cas d’urgence…). Il appartient au médecin de faire part de son sentiment au patient et, le cas échéant, de refuser à l’avenir de le prendre en charge ».
En cas de refus du patient de supprimer l’enregistrement illicite, le médecin pourra se tourner vers une action juridictionnelle, afin de faire cesser cette atteinte (en particulier dès lors qu’une diffusion est susceptible de lui porter préjudice).
D’ailleurs, notons que la découverte d’un tel enregistrement par un médecin est généralement fortuite et n’intervient souvent qu’après sa diffusion et mise en ligne, à moins que le patient n’ait informé le médecin en amont (ce qui reste rare et qui peut, le cas échéant ouvrir à un dialogue).
En effet, telle démarche amène une réflexion tout autant éthique que juridique, qui consiste à interroger la finalité poursuivie par le patient. L’enregistrement d’une consultation par ce dernier peut trouver à se légitimer pour des questions pratiques de compréhension ou d’ordre mémoriel par exemple.
Le patient peut ainsi ne pas être animé d’intentions malveillantes ce qui doit conduire à privilégier l’échange et la discussion avec le médecin, avant d’engager toute démarche contentieuse (laquelle ne ferait que rompre davantage le lien de confiance supposé présider la relation patient-médecin, mais aussi pousser le patient lui-même à rechercher la responsabilité du professionnel au décours de sa prise en charge, au titre d’un défaut d’information, etc).
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