« Le port de la barbe pour un praticien stagiaire associé au sein d’un Centre Hospitalier n’est pas contraire au principe de laïcité et de neutralité de l’agent. » – CE 12 février 2020, requête n° 418299
Faits
A compter du 30 septembre 2013, un homme a été accueilli en qualité de praticien stagiaire associé au sein du service de chirurgie générale, viscérale et digestive du centre hospitalier de Saint-Denis. Lors de son arrivée dans l’établissement, le directeur lui a demandé de tailler sa barbe « pour en supprimer le caractère ostentatoire ». L’agent ayant refusé de le faire, le directeur du centre hospitalier a résilié sa convention de stage par une décision du 13 février 2014, se fondant également sur une insuffisante maîtrise de la langue française mais n’opposait aucun motif tenant aux exigences particulières de fonctionnement d’un bloc opératoire.
L’agent stagiaire se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 19 décembre 2017 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel qu’il avait formé contre le jugement du tribunal administratif de Versailles du 25 septembre 2015 rejetant sa demande d’annulation de cette décision.
Motivation du Conseil d’Etat
Les juges du Conseil d’Etat motivent leur décision en se fondant sur l’article L. 6134-1 du code de la santé publique (CSP), prévoyant que : « Dans le cadre des missions qui leur sont imparties et dans les conditions fixées par voie réglementaire, les établissements publics de santé peuvent participer à des actions de coopération, y compris internationales (…) ».
De même, l’article R. 6134-2 du CSP ajoute que : « Bénéficient d’une formation complémentaire dans le cadre des conventions mentionnées à l’article L. 6134-1 : / 1° Les médecins et pharmaciens titulaires d’un diplôme de docteur en médecine ou en pharmacie permettant l’exercice dans le pays d’obtention ou d’origine et n’effectuant pas une formation universitaire en France. Ils sont désignés en qualité de stagiaires associés pour une période de six mois renouvelable une fois (…) ».
Autrement dit, les praticiens étrangers qui sont accueillis en tant que stagiaires associés dans un établissement public de santé doivent respecter les obligations qui s’imposent aux agents du service public hospitalier. A ce titre, bien que ces agents bénéficient de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination fondée sur la religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu’ils manifestent leurs croyances religieuses dans le cadre du service public.
En effet, la jurisprudence a pu préciser à de nombreuses reprises que tous les agents y compris les stagiaires sont soumis par la loi au devoir de neutralité et au principe de laïcité (CE 28 juillet 2017, n° 390740).
Toutefois, le devoir de neutralité n’est pas une limite à la liberté des agents publics. En effet, le Conseil d’Etat a récemment rappelé que le principe constitutionnel de laïcité est une garantie au profit des fonctionnaires puisque dans ces circonstances, l’Etat, visé en qualité de recruteur, ne peut apprécier différemment les candidats en fonction de leurs opinions religieuses (CE 27 juin 2018, n° 419595).
La jurisprudence est venue apporter une distinction concernant les signes religieux.
Tout d’abord, il existe des signes religieux dont le port par lui-même manifeste ostensiblement une appartenance religieuse (le port du voile, d’un foulard islamique, la kippa, une grande croix).
Ensuite, il existe des signes religieux par destination, dont le port ne manifeste ostensiblement pas une appartenant religieuse mais dont il résulte un comportement ostentatoire.
Décision du Conseil d’Etat
Les juges du Conseil d’Etat ont jugé que malgré la taille de la barbe de l’agent public, celle-ci ne pouvait être regardée comme étant par elle-même un signe d’appartenance religieuse.
Autrement dit, le fait pour un agent de refuser de tailler sa barbe tout en ne niant pas que son apparence physique pouvait être perçue comme un signe d’appartenance religieuse, ne suffit pas à caractériser la manifestation de convictions religieuses dans le cadre du service public.
En somme, pour le Conseil d’Etat, la Cour d’appel a entaché son arrêt d’erreur de droit ; l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles est annulé.
Par conséquent, cette affaire insiste sur le fait qu’il est interdit pour ces agents publics de manifester leur apparence religieuse dans le cadre du service public, et non de croire simplement en leur conviction religieuse.
Demande de démonstration