Alors que les propositions volent tous azimuts pour donner à voir le champ des possibles en matière de gouvernance territoriale de santé, le secteur médico-social s’inquiète sensiblement. Face au spectre d’un transfert de compétences exclusives aux départements, les fédérations craignent « un risque de fracture majeur » et une hausse des inégalités.
La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 aura-t-elle raison de notre gouvernance de santé ? La prise de parole présidentielle du 14 juin dernier a fait souffler un vent d’audace. Appelant une « nouvelle page » et à un « nouveau chemin », le président de la République, Emmanuel Macron, invitait alors à « libér[er] la créativité et l’énergie de terrain » et faisant « davantage confiance » aux territoires. « Tout ne peut pas être décidé si souvent de Paris », déclarait-il. Audition parlementaire après audition parlementaire, déclaration publique après déclaration publique, tribune après tribune… Acteurs, experts et gouvernants locaux n’ont depuis pas perdu une occasion de partager leur vision du modèle à construire. Une dynamique sur laquelle Emmanuel Macron entend bien capitaliser.
Pour une plus grande subsidiarité des politiques de santé
Dans un entretien ce 2 juillet accordé à plusieurs médias de la presse quotidienne régionale, le chef de l’État a ainsi annoncé le lancement « dès cet été [d’]une grande conférence des territoires » pour penser la décentralisation par la « différenciation », l’« association » et la « clarification ». Le même jour, le Sénat dévoilait dans un rapport dédié pas moins de cinquante propositions « pour le plein exercice des libertés locales ». Considérant « la période actuelle […] propice à une redistribution des pouvoirs », le président de la chambre haute insistait notamment, en avant-propos, sur le « besoin d’une plus grande subsidiarité des politiques de la santé ».
Face à des directeurs généraux d’ARS certes ouverts à un rapprochement vers les territoires mais pas moins attachés au modèle de leurs agences (lire l’article sur HOSPIMEDIA), le Sénat plaide pour une présidence des ARS confiée aux présidents de régions associant les élus locaux à la déclinaison de la stratégie dans des conférences de santé départementales. Objectif : « mettre fin à une politique de restructuration hospitalière par trop unilatérale ». « Nous devons également achever la décentralisation du secteur médico-social en confiant la tutelle unique des établissements sociaux et médico-sociaux aux départements », poursuit Gérard Larcher. Selon la proposition de résolution établie par le Sénat, ces derniers se verraient confier le pilotage des Ehpad. Dotés d’un pouvoir de tarification unique, ils pourraient également nommer les directeurs des établissements.
Transfert aux départements : « une double faute »
Pour le secteur médico-social, transférer l’ensemble des compétences médico-sociales aux départements tient du registre de l’impensable. Dans un communiqué du 2 juillet, AD-PA, CNDEPAH, Fehap, FHF, Fnadepa, Fnaqpa, Synerpa et Uniopss crient à la « double faute politique », sur le fond comme sur la forme.
Si elles n’entendent « en aucun cas de nier le rôle essentiel des départements en particulier dans l’accès aux droits individuels et l’adaptation des territoires au grand âge et aux personnes en situation de handicap », les fédérations ne peuvent se résoudre à une gouvernance et un financement exclusif des conseils départementaux. Quant à écarter les ARS de l’équation ? Toutes dénoncent « un contresens historique ».« Mettre fin à un financement national de ce secteur en le conditionnant à terme aux ressources très disparates des départements ne peut que faire croître les inégalités déjà considérables qui existent déjà », estiment-elles en prenant pour preuve le secteur du domicile et les modalités d’attribution de la prime Covid-19. Et de craindre dans cette hypothèse « un risque de fracture majeur de notre secteur et d’un accompagnement à géométrie variable des personnes âgées et en situation de handicap ».
« Le statu quo n’est pas souhaitable »
Dans un dossier publié ce 3 juillet, la CNDEPAH creuse le propos. Opposée à une gouvernance exclusive des départements — « Comment imaginer que des Ehpad autonomes soient rattachés aux conseils départementaux et que les Ehpad hospitaliers ne le soient pas ? » —, elle propose que ces derniers conservent l’évaluation et l’octroi des aides individuelles. Et d’appeler à revoir le modèle actuel : « Le statu quo n’est pas souhaitable. »
Des arbitrages pris dans le dos du secteur ?
Inconcevable, cette option fait d’autant plus trembler les fédérations qu’elle se matérialiserait à leur insu. Après deux ans de discussions vides de quelconque option ou stratégie claire en la matière, « un faisceau de bruits nous laisse à penser que les choses s’organisent et que les discussions sont bien plus avancées que ce que l’on veut bien nous laisser croire », glisse Emmanuel Sys, président de la conférence nationale des directeurs d’établissements pour personnes âgées et handicapées (CNDEPAH).
Après plusieurs réunions avec la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et le cabinet d’Olivier Véran, son analyse est sans appel : « Quand on pose la question de la gouvernance des Ehpad et des établissements médico-sociaux, il y a un léger malaise dans la communication. » Aussi en est-il convaincu : « Les arbitrages se font ailleurs. » Une hypothèse problématique qui ébranle de facto la confiance des fédérations sur les travaux actuels. Dénonçant une méthode « pas acceptable d’un point de vue démocratique », toutes rappellent que la question de la gouvernance des établissements médico-sociaux ne peut se conclure par un arbitrage politique qui viendrait en amont de la réforme du grand âge et des discussions en cours. Et d’attendre une clarification claire de la part de l’exécutif.
Laurent Vachey invite à « remettre à plat » la gouvernance
À l’occasion de sa séance ordinaire du 2 juillet, le conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) a échangé avec Laurent Vachey, missionné pour conduire la conférence de préfiguration de la nouvelle branche autonomie (lire notre article). Un travail qui viendra nécessairement interroger la gouvernance actuelle. « La cinquième branche va conduire à revisiter toutes les politiques publiques concernées par le soutien et l’aide à l’autonomie […] à imaginer le modèle de gouvernance nationale : s’inspirera-t-il de celui de la CNSA qui a fait ses preuves ? », s’est-il interrogé. Et d’inciter à ce titre à « remettre à plat les modes de relation entre les agences régionales de santé, les maisons départementales des personnes handicapées, les conseils départementaux et la CNSA ».
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