« Face à la situation des Padhue, on organise des exceptions sans volonté politique forte »

capture-decran-2016-12-02-a-16-10-06Publié le 26.02.2024 par Clémence Nayrac
Article Hospimedia

Vincent Ricouleau est professeur de droit, titulaire de plusieurs diplômes universitaires de médecine et spécialiste de l’éthique. Il s’intéresse de près à la situation des praticiens diplômés en dehors de l’Union européenne. Dans un entretien avec Hospimedia, il pointe des blocages à tous les niveaux.

Hospimedia : « Vous êtes professeur de droit avec une formation d’avocat. Vous vous intéressez également à de nombreux sujets en lien avec la médecine et le monde de la santé, et notamment à la situation des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue). Pourquoi cet intérêt pour les Padhue ?

Vincent Ricouleau : Je suis professeur au sein de la faculté de droit et de médecin d’Hô chi Minh au Vietnam, avocat de formation. En parallèle, j’ai une formation médicale constituée de quatre diplômes universitaires techniques. Je suis très impliqué sur les questions médicales, éthiques, neuroéthiques, psychiatriques et de droits des patients. J’essaye d’être transversal entre le droit et l’éthique de la médecine. Concernant plus spécifiquement les Padhue, ce qui m’intéresse c’est d’avoir une vision à long terme du système de santé. Et plus largement de comprendre les déficiences du système du soin.

H. : Vous avez publié plusieurs articles consacrés à ce sujet et rappelé l’historique de la situation des Padhue. La situation actuelle semble faire écho à une longue histoire…

V. R. : Il faut en effet partir de l’antériorité de la difficulté. Cela fait quasiment trois générations que les Padhue exercent en France. Cela pose la question de pourquoi brutalement, ils ont décidé de mener des actions plus visibles. Car pendant deux générations, les Padhue ont exercé dans l’ombre, sous une forme « invisible ». Je pense que la nouvelle génération de Padhue est composée d’hommes et de femmes décidés à passer dans la visibilité et pour ce faire formule des propositions ciblées. Évidemment si l’on prend la machine à remonter le temps, on se demande pourquoi ils ne l’ont pas fait avant. Cela sommeillait un peu. L’esprit critique peut être là, mais quand en parallèle vous devez affronter le système hospitalier et les directions des ressources humaines, c’est compliqué. Il y a longtemps eu la peur d’être stigmatisé. Aujourd’hui, la réflexion est plus construite et il y a parmi les Padhue la volonté forte de ne pas exposer de nouvelles générations à ces inégalités.

H. : Quelles sont plus précisément ces inégalités ?

V. R. : Il y a différents volets au problème. D’abord il y a le volet du statut des Padhue, des statuts devrais-je dire d’ailleurs, puisqu’ils sont multiples. Je pense par exemple aux faisant fonction d’internes, qui sont considérés sur le papier comme internes mais qui vont être utilisés à plein temps dans les services, voire qui vont encadrer en l’absence du chef de service, et tout cela sous un statut précaire. C’est un paradoxe. Il y a un gap entre le statut administratif des Padhue et leur fonction réelle. C’est flagrant aux urgences. Leur rémunération ne correspond pas à leur statut. Ils sont moins bien payés que leurs homologues diplômés en France ou dans l’Union européenne.

H. : La crise Covid a-t-elle agi en ce sens comme un révélateur ?

V. R. : Je pense que oui. Pendant la crise, les Padhue se sont révélés être des médecins fiables, soucieux d’être discrets, des gens sur qui on peut compter, qui ne sont pas des partisans des combats syndicaux ou même des débats télévisés. Ils sont exposés, sur le terrain. Le Gouvernement a été contraint de les reconnaître. Certains, au cas par cas, ont été remerciés officiellement. Leur caractère indispensable a été démontré pendant cette crise. Cela a engendré une prise de conscience. Et puis plus largement avec la crise de l’hôpital, au moment où le budget est resserré, la reconnaissance de ces professionnels pose un problème budgétaire. L’aspect financier est incontestablement un élément important dans la reconnaissance des Padhue. La crise Covid a fait naître l’espoir de reconnaissance et de revalorisation.

H. : Il y a eu ensuite des déceptions…

V. R. : Le statut n’a pas fait l’objet d’une prise en main. Ce n’est pas un hasard s’il n’existe pas aujourd’hui d’observatoire des Padhue. Il y a une grande hétérogénéité des statuts et des situations, qui est entretenue. Les Padhue ne se connaissent pas tous. Ils sont dans leur hôpital, dans leur service, chacun avec leur statut et leurs spécialités différentes. D’ailleurs, dans les revendications actuelles, certains professionnels demandent que le service rendu pendant le Covid soit pris en compte et valorisé.

H. : Pour l’heure, le débat se situe aussi autour des épreuves de vérification des connaissances (EVC) et de la formation. Pouvez-vous faire un point de situation ?

V. R. : Les EVC sont des concours organisés par spécialité. Ils sont réservés aux praticiens médecins, chirurgiens-dentistes, pharmaciens et sages-femmes diplômés hors UE. Il y a deux questions à ce concours, une question théorique de deux heures et une question pratique de deux heures également. La dernière session a enregistré 20 000 candidats. La difficulté, dans ce système, c’est que les Padhue déjà en poste, c’est-à-dire des praticiens séniors qui ont plusieurs années d’expérience, sont quelque part en concurrence avec des jeunes diplômés qui arrivent en France. Il faut préciser également que le nombre de postes proposés est très faible et par conséquent très concurrentiel. Il est pourtant indispensable de réussir ses EVC pour continuer à exercer.

H. : Le 15 février, tandis que les Padhue étaient mobilisés, le ministère en charge de la Santé a publié une nouvelle instruction (lire l’article Hospimedia). Ce texte remédie-t-il à cette situation ?

V. R. : L’instruction dit qu’il faut envisager de passer les EVC l’an prochain pour un certain nombre de praticiens. C’est une vraie difficulté de valoriser l’expérience et les connaissances des Padhue en poste. Et en même temps le système de santé ne peut pas s’en passer, en gériatrie, aux urgences… Ce n’est pas simple de préparer un concours quand vous faites tourner un service. Finalement, on n’avance pas beaucoup avec cette instruction. Au-delà de ce texte, il y a actuellement une discussion d’aménagement en modifiant les épreuves de vérification des connaissances. C’est une discussion en cours au sein du cabinet de la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités. Une réflexion est en cours sur les modalités des EVC et un rapport est attendu avant la fin mars. L’exécutif est conscient qu’il faut proposer quelque chose. Quand on voit les moyennes des praticiens recalés, on peut s’interroger. Il faut harmoniser les niveaux attendus et l’expérience requise, et bien sûr ouvrir des postes. Nous avons en France une idéologie du concours. Mais nous n’avons pas été capables d’aménager des concours qui correspondent au profil des candidats.

H. : Vous avez aussi passé au crible les propositions qui ont émané du secteur. Quelle analyse en tirez-vous ?

V. R. : Il y a plusieurs propositions marquantes, comme le rapport interacadémies, mais je retiens surtout les propositions formulées par les conférences et doyens (lire l’article Hospimedia). Il y a dans ces propositions des éléments intéressants à reprendre. Les conférences soulèvent le problème de compatibilité des maquettes de diplômes d’études spécialisés (DES) actuels avec les besoins et l’expérience des Padhue. Ils suggèrent d’aménager les diplômes, de quasiment faire du sur-mesure, pour permettre aux Padhue de passer un DES. Par rapport aux épreuves de vérification des connaissances ce serait un changement complet de postulat. Cela soulève néanmoins de nombreux sujets : quel accès au diplôme d’études spécialisées ? Avec quelle capacité de formation ? La question de l’accueil en stage, et du nombre de maîtres de stage, est aussi soulevée.

H. : EVC, formation, rémunération… Votre analyse met en lumière des blocages à tous les niveaux. Y en a-t-il d’autres identifiés ?

V. R. : Il y a la question du blocage « interne », c’est-à-dire au sein même des professions médicales. Je pense notamment à une tribune de médecins parue dans Le Monde début février et intitulé « Les déserts médicaux ne justifient pas de brader le niveau des futurs praticiens du pays ». Il y a une forme de protectionnisme parmi ces professionnels, qui font aussi blocage. Il faut rappeler que finalement, ce que veulent les Padhue, c’est une autorisation de plein exercice, et par conséquent une inscription aux tableaux de l’ordre. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui et cela les empêche par exemple d’ouvrir leur cabinet indépendant. Il faudrait plus de transparence et de manière générale une dynamique plus positive pour résoudre leurs difficultés.

H. : Vous évoquez la situation professionnelle des Padhue mais la problématique concerne aussi le plan personnel. La fin des autorisations temporaires engendre des situations humaines difficiles…

V. R. : Je reçois énormément de messages de Padhue qui font face à des obligations de quitter le territoire ou à l’impossibilité de faire venir leur famille. À l’heure où l’on parle des risques psychosociaux chez les professionnels de santé, on expose des Padhue à des situations insoutenables. Et puis n’oublions pas que les Padhue des territoires d’outre-mer ont eux un régime dérogatoire, avec des mesures de sélection qui ont été assouplies à Mayotte et en Guyane. Le système qui se met progressivement en place est discriminatoire. Des recours devant les tribunaux administratifs sont déjà en train de voir le jour. Et puis il y a la loi Immigration, dont nous attendons toujours les décrets en Conseil d’État. Je n’ai à ce jour pas d’informations sur le cheminement du texte, mais cela crée de l’incertitude. Il faut s’attendre à des textes réglementaires compliqués. Idem pour la loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, dite Valletoux, qui porte des mesures sur l’exercice des Padhue, mais dont on attend les textes réglementaires. Tout va dépendre de l’appareil réglementaire. On sent clairement que l’exécutif reprend la main sur le sujet. Mais on ne dispose pas pour le moment d’une vision de long terme.

H. : Cela pose-t-il également des problèmes éthiques ?

V. R. : Bien sûr. Outre le fait d’exposer des gens à un important stress, parce qu’on n’a pas trouvé un moyen d’accès et de formation satisfaisant, le problème éthique réside aussi dans le fait qu’en ne régularisant pas des Padhue expérimentés, on ne couvre pas les besoins en soins de la population. On organise des exceptions, mais il n’y a pas de volonté politique forte. On peut espérer que l’échéance des Jeux olympiques, très importante pour le Gouvernement, soit une opportunité pour les Padhue. Ils vont avoir un moyen de pression extrêmement important. Car l’enjeu est celui de la prise en charge de quinze millions de touristes qui seront sur le territoire, en plus de la population française. Ce sera pour les Padhue l’opportunité de redonner une visibilité à l’importance de leur travail. Et peut-être enfin d’opérer un « déblocage ». »

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