Le juge administratif a précisé les modalités d’application aux fonctionnaires du droit de se taire consacré par le Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel a régulièrement réaffirmé sur le fondement de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen — présomption d’innocence —, le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ce dernier est appliqué en matière de procédures pénales.
Par la suite, le Conseil constitutionnel a affirmé ce droit dans le cadre d’une procédure disciplinaire : d’abord pour les notaires (décision du 8 décembre 2023), ensuite pour les magistrats (décision du 26 juin 2024) et enfin, pour les fonctionnaires (décision du 4 octobre 2024). Le Conseil constitutionnel étend donc le droit de se taire au-delà des peines prononcées par les juridictions répressives, « à toute sanction ayant le caractère de punition ». Il précise alors que ces exigences « impliquent que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire ».
Les dispositions textuelles n’ayant pas été modifiées, c’est le juge administratif qui est venu clarifier les règles applicables en la matière et apporter les précisions dans la mise en œuvre de ce droit.
Le moment de l’information du droit de se taire
Dès le 19 décembre 2024, le Conseil d’État a dans une décision précisé le champ d’application temporel du droit de se taire. Ainsi, en principe, l’agent doit être avisé « avant d’être entendu pour la première fois, qu’il dispose de ce droit pour l’ensemble de la procédure disciplinaire ».
Deux hypothèses sont alors envisagées. En premier lieu, dans le cas où la procédure disciplinaire a déjà été engagée et qu’au cours de celle-ci le fonctionnaire est entendu dans le cadre d’une enquête administrative : les enquêteurs doivent informer l’agent.
En second lieu, dans le cas où la procédure disciplinaire n’a pas encore été engagée, le juge considère que le droit de se taire ne s’applique pas. En effet, en pratique, avant l’engagement de la démarche, l’administration peut être amenée à recevoir l’agent pour échanger sur certains faits ou à diligenter une enquête administrative pour éclaircir certains éléments sans nécessairement que cela aboutisse à une procédure disciplinaire. Le juge précise donc que « le droit de se taire ne s’applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l’exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l’autorité hiérarchique et par les services d’inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent ».
Un risque de contournement
Toutefois, le risque serait que l’autorité administrative contourne une procédure disciplinaire, pour recueillir les propos d’un agent, dans le but d’engager ensuite une telle procédure. C’est pourquoi, le juge prévoit une exception : en cas de détournement, il sera considéré que le droit de se taire aurait dû être notifié à l’agent quand bien même la procédure disciplinaire n’était pas engagée. Cela signifie que l’administration ne peut pas sciemment organiser un échange « informel » avec l’agent sans l’informer de son droit alors qu’elle entend engager une démarche disciplinaire. En raison de la difficulté de prouver cette intention, le juge vérifie quasi systématiquement les conséquences du défaut d’information (décision du Conseil d’État du 17 avril 2025).
Les conséquences de l’omission de l’information
Le Conseil d’État a clarifié les conséquences du défaut d’information du droit de se taire. Cela peut entraîner l’annulation une annulation « lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l’agent public et aux autres éléments fondant la [décision], il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l’intéressé n’avait pas été informé de ce droit » (décision du Conseil d’État du 19 décembre 2024).
Par exemple, si la sanction résulte d’éléments factuels et de témoignages de tiers, le juge considérera qu’elle ne se fonde pas de manière déterminante sur les propos tenus par l’agent. Dans le même sens, si la décision résulte d’un rapport circonstancié établi par une cadre de santé et pas des propos tenus par l’aide-soignante sanctionnée, le fait qu’elle n’ait pas été informée du droit de se taire n’aura pas d’incidence sur la légalité de la démarche (décision de la cour administrative d’appel de Nantes (Loire-Atlantique) du 25 avril 2025). Il en va de même si la décision est fondée sur des constats opérés par la hiérarchie de l’agent (décision de la Cour administrative de Nantes du 18 mars 2025).
En revanche, un questionnaire — envoyé à un agent pour récolter des informations écrites sur des faits qu’il aurait commis — a été « regardé comme marquant l’engagement de la procédure disciplinaire » notamment car une convocation devant le conseil de discipline a fait suite à sa réponse. L’agent n’a été informé à aucun moment de son droit de se taire. Le juge a ainsi pris en compte le fait que la décision prononçant la sanction a repris « de très larges extraits, rapportés au style indirect, des déclarations » du fonctionnaire faites dans la réponse au questionnaire. Dès lors, il a annulé la décision litigieuse car elle reposait de manière déterminante « sur des propos tenus » par l’intéressé (décision du tribunal administratif de Dijon (Côte-d’Or) du 18 février 2025). Ainsi, les administrations doivent se montrer particulièrement vigilantes en la matière et veiller à une bonne information du droit de se taire.
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