Face aux surcoûts liés aux crises successives, les établissements peuvent renégocier les contrats et marchés en cours d’exécution. Le Conseil d’État a précisé le 15 septembre les conditions de signature d’une convention d’indemnisation. Chaque mois, l’équipe d’Hospimedia Réponse Expert* apporte son décryptage juridique sur un sujet d’actualité.
Les établissements sanitaires et médico-sociaux mais aussi les collectivités et leurs groupements ont la possibilité de renégocier les contrats de marché en cours d’exécution, pour leur permettre de supporter la hausse du prix des matières premières. L’application de cette théorie de l’imprévision varie selon le secteur privé ou public.
L’application en droit privé
Les établissements privés en tant que cocontractants ont la possibilité de renégocier un marché en cours d’exécution, en application de l’article 1195 du Code civil. Tel est le cas lorsqu’un changement de circonstances imprévisible en rend l’exécution excessivement onéreuse, sans qu’un tel risque ait été accepté. En cas d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de rompre le contrat ou de trouver un accord par l’intermédiaire du juge, qui procèdera à la révision du contrat ou y mettra fin.
La révision d’un marché privé pour imprévision n’est toutefois pas opposable de plein droit. Elle ne peut être mise en œuvre qu’en l’absence de stipulations contractuelles contraires pouvant en exclure l’application.
L’application en droit public
En droit public, la théorie de l’imprévision est encadrée par l’article L6 du Code de la commande publique. En cas d’événement imprévisible et étranger à la volonté des parties, générant un bouleversement de l’économie du contrat, cette règle impose à la personne publique d’apporter son concours — notamment financier — à son cocontractant pour lui permettre d’exécuter le contrat, sans pour autant garantir un bénéfice à ce dernier.
Afin de rétablir l’équilibre économique du contrat, le titulaire peut ainsi percevoir une indemnité ou bénéficier d’un aménagement (révision tarifaire, baisse de charges, etc.) lui permettant d’assurer la poursuite de ses obligations dans des conditions acceptables.
Cette règle est d’application constante, même lorsqu’elle n’est pas prévue par les documents contractuels. Il n’est donc pas nécessaire que le marché contienne des clauses relatives à l’imprévision pour que celle-ci soit applicable.
Dans le cas où les difficultés se poursuivent au-delà d’un délai raisonnable, et à défaut d’accord amiable, l’administration peut également obtenir la résiliation du marché.
Trois conditions cumulatives en droit public
En pratique, la théorie de l’imprévision ne peut être valablement invoquée par le titulaire du marché que si trois conditions cumulatives sont réunies. L’évènement affectant le contrat doit :
- être imprévisible, c’est-à-dire ne pouvant être raisonnablement anticipé lors de la conclusion du contrat ;
- être extérieur aux parties, soit indépendant de leur volonté ;
- bouleverser l’économie du contrat et entraîner des charges supplémentaires non prévues.
Deux conditions s’ajoutent également. L’évènement ne doit pas être irrésistible, c’est-à-dire empêcher toute exécution du contrat, auquel cas c’est le régime juridique de la force majeure qui s’appliquerait, avec suspension ou résiliation du contrat. En outre, l’évènement ne doit pas être imputable à l’administration. Il s’agirait alors de la théorie du fait du prince.
Application aux marchés publics au contexte actuel
Concernant la commande publique, le Gouvernement a admis dans une circulaire du 30 mars 2022 que la théorie de l’imprévision trouve à s’appliquer dans le contexte actuel de hausse du prix de certaines matières premières. Le Conseil d’État a quant à lui récemment précisé, dans un avis le 15 septembre dernier, que les parties peuvent conclure, sur le fondement de la théorie de l’imprévision, une convention d’indemnisation. Celle-ci a pour objet la compensation des charges extracontractuelles subies par le titulaire du marché. L’indemnité est temporaire et son montant est fixé précisément dans la convention d’indemnisation.
Enfin, le Conseil d’État fixe les limites de cette convention, en précisant notamment qu’elle « n’a ni pour objet ni pour effet de modifier les clauses du marché ou du contrat de concession ni les obligations contractuelles réciproques des parties ni d’affecter la satisfaction des besoins de l’autorité contractante, qu’elle vise précisément à préserver. »
Par ailleurs, il existe un « droit du titulaire à indemnisation ». Le fondement de la théorie de l’imprévision peut être avancé devant le juge administratif. En effet, ce dernier peut être saisi en l’absence d’accord avec l’administration sur le principe ou sur l’objet et le montant d’une modification du contrat, sur une indemnité conventionnelle ou sur une combinaison de ces deux solutions pour compenser les pertes anormales — c’est-à-dire la part du déficit subi excédant les pertes maximales raisonnablement envisagées par les parties lors de la conclusion du contrat.
Par conséquent, cette indemnité peut être versée soit sur le fondement d’un accord indemnitaire conclu avec l’acheteur, soit, en cas de désaccord de l’acheteur sur le principe et le montant de cette indemnité, par le juge. Il appartient toujours au prestataire d’apporter les justifications du préjudice subi, qui doivent pouvoir être vérifiées et acceptées par l’acheteur public. Le déclenchement et la mise en œuvre de l’imprévision restent conditionnés par des circonstances exceptionnelles.
Le titulaire du marché peut se prévaloir de la théorie de l’imprévision, encore faut-il que le juge estime que l’ampleur du bouleversement en justifie la mise en œuvre. À ce titre, la hausse du prix des matières premières peut constituer un bouleversement substantiel de l’économie du contrat. Celui-ci est cependant apprécié souverainement par le juge, qui tend généralement à exiger une augmentation du prix du marché d’au moins 5% à 10%. En deçà de ce seuil, l’entreprise sera généralement déboutée de sa demande car l’équilibre financier du marché n’est pas altéré dans une proportion suffisante.
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